Pour ou contre 2024

Photographie Claude Baudin

je suis du bout des doigts une griffure
je cherche la ligne je cherche la lettre
je cherche qui écrit sur les murs
comme un graffeur qui cherche ses yeux

je bute sur une fissure noire je l’enjambe
et je parcours un champ de ruines
un chaos de tranchées et de croûtes
capharnaüm où pleurent les visages :

l’enfant caché sous la pierre
l’assise pleurant les mains sur ses genoux
les vieux qui pleurent aussi sous les rides du front
les pieds pataugeant dans l’immonde

la mort grave sur les murs
les perforations des projectiles
qui me regardent qui nous regardent
comme les trous des yeux dans l’os

je suis du bout des doigts la frontière d’encre
la ligne de partage des pleurs les rivières
qui drainent leur eau vers la mer
les terres anéanties qui renaîtront

cette année et celles qui viendront
puissent se multiplier ceux
qui sauront encore tracer sur le mur
l’élan d’une fleur sauvage

D.B.G. 31/12/2023

Pour ne pas formuler de vœux pour l’année 2023 tout en les formulant quand même

Photographie Claude Baudin
Photographie Claude Baudin

Nous avions oublié.
nous – avions – oublié
oublié – les – avions
à quoi – servent – les avions
et pourquoi – les avoir – inventés

Nous avions oublié.
nous – avions – oublié
oublié – les potences – et les cordes
et la flèche – des grues
et les corps suspendus

Les voix crient
percent les murs – les tympans

Voilà on se souvient ensemble face au mur étouffé de brouillard pensant marchant courant décrivant les sentiers et parcourant les villes arpentant les estrans les places les jardins dérivant sur l’estuaire déboulant le pierrier éclaboussant les flaques attisant les miroirs faisant feu de tout bois multipliant les graines tripotant les nuages étourdissant les fleuves caressant les enfants les bêtes les amants couvrant de fleurs le tombeau des aimés défaisant pas à pas les chemins de misère ouvrant la porte aux rires au souffle du printemps. Rêvant. Tout grand.

D.B.G.
8/01/2023. En écoutant Philip Glass.

Écouter le texte

Vœux 2022

Photographie Claude Baudin
les animaux sont nés…

les animaux sont nés
Dans la chevelure

Dans la chevelure Dans les cheveux
Dans les grands cheveux
bleus des Fées

Dans les cheveux verts
des enfants des Fées

Dans les pas des grands
chevaux cosmiques dont le galop
arrache des mottes à la Terre

Dans les sentiers couverts de
feuilles grisaille douce
propice aux naissances
des micro organismes furieux

ils se jettent se précipitent
fous ivres se jettent se précipitent
dans la pâte noire du temps
fous ils brisent la nuit de marbre
des galaxies tournoyant folles ivres

Voient presque jusqu’au
bout de l’univers
avec leurs gros yeux blancs
ils mâchent les herbes râpeuses
boivent l’eau plombée des mares
s’ahurissent de reflets

Mélangent l’exact et le faux
la terre véritable et la poussière de plâtre
modèlent avec leurs pattes
habiles des petites figurines
grotesques qui vacillent sur deux jambes
balbutient.

les animaux ravis de l’avoir inventée
souhaitent une longue vie à notre humanité

texte : D.B.G.

Pour 2021

Photo : Claude Baudin

il tire la couverture à lui il nous tire les cheveux au milieu de la nuit il tient en suspens des destins essentiels / de ceux qui donnent de l’importance à nos jours il se croit le maître du monde il croît inconsidérément il est le nuisible de la fin de la journée la petite noirceur familière qui nous tient au lit le danger que nous oublions sauf la peur dans l’œil du passant du caissier du supermarché du compagnon de la ligne P de la coiffeuse et de la dame au petit chien il invente des nuages toxiques et des parcours de main en main il rend fou il rend éphémère

il est stupide et seul dans son enveloppe

il ne détient aucun pouvoir contre
la vie contre
le poème des jours ordinaires et
le goût sucré des acacias de
l’an prochain

D.B.G.

Pour 2020

Cosmos

 

Claude Baudin (photo numérique)

dans la pupille de l’univers
(ce fruit de prunellier)
pulsars quasars renards
cachés dans l’embrouille des ondes

avivent la curiosité des choses,
de l’indéchiffrable livre
enroulé sur lui-même
au point de capiton

dans les plumes de ses cristaux
les oiseaux magnétiques
cherchent leurs pôles
et tournent leurs rémiges

depuis un coin de ce désordre,
nos yeux ouverts, bronchant
sur la haie des ténèbres,
entrevoient le tissu du monde

nous n’avons pas le temps
c’est l’hiver ; nos pas de patineur
rayent la glace grise
et captent la lumière

au revers de l’année.

D.B.G.